Parisi udvar se meurt

Levez bien les yeux : ils sont une cinquantaine, torses nus et en rang d’oignons, à s’extirper des murs par dix mètres au-dessus de la place Ferenciek et de la rue Pétőfi Sándor.
Depuis 1910 les guetteurs de Parisi udvar, ce fantasmatique palais néo-gothique au couronnement hérissé de pinacles, de gargouilles et de clochetons orientalisants, sont aux premières loges pour observer les mutations de la vie urbaine.
Mais tout se joue ici dans les entrailles du bâtiment. Ou plutôt, tout s’y est joué pendant un siècle. Car le Passage de Paris, ce flamboyant bazar à l’orientale où subsistaient encore quelques commerces il y a peu, est désormais pétrifié dans un silence d’église.
Commandé par la Central City Savings Bank et conçu par l’architecte Henrik Schmahl, on le tient à juste titre pour un chef-d’œuvre : sols étoilés de marbre et de verre gaufré, boiseries dentelées rehaussées de mosaïques, verrières en plein cintre crénelées et sublime coupole de vitraux inspirée des voûtes mauresques en nids d’abeille – un cas unique dans l’histoire des passages. Commun en revanche le dépérissement qu’il connaît aujourd’hui, bien qu’il abrite des logements dans ses étages.

C'est que l'archétype du passage couvert, qui a essaimé à travers toute l'Europe au XIXe et au tout début du XXe siècle, a toujours été un pari risqué. Fleuron du capitalisme triomphant, il n'a jamais relevé de la compétence des municipalités mais a toujours constitué un pur objet de spéculation privée destiné à écouler la surproduction de produits de luxe.

Un pari risqué
La réussite des passages couverts, en termes de fréquentation, dépend de la convergence de facteurs spatiaux, économiques et sociaux – une vraie alchimie urbaine.
Il doit faciliter le passage d’un lieu attractif à un autre, en offrant à la fois un raccourci et une sécurité. Le passage couvert, rappelons-le, connaît son essor à une époque où la rue est encore moyenâgeuse : mal pavée, sans caniveau (par temps de pluie les piétons se frayaient un chemin dans un véritable bourbier), encombrée et rendue continuellement dangereuse par des véhicules toujours plus nombreux et rapides, les vitrines ne pouvaient retenir des passants fuyant la saleté, la cohue et les accidents. C’est pourquoi les passages couverts tenaient lieu de refuges, de raccourcis et de lieux de promenade et de détente quasi magiques : ils répondaient à un réel besoin.
Magiques et incontournables, reflet idéal de la totalité de la vie urbaine, car ils concentraient le maximum de commerces, services, lieux de détente et de loisirs dans un minimum d’espace, attirant jour et nuit toutes les classes sociales. 
Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui. Parisi udvar, en plein quartier touristique, est depuis longtemps concurrencé par les rues piétonnes voisines et par les commerces de son rez-de-chaussée ouvrant sur de larges trottoirs ; par les centres commerciaux aussi, héritiers directs du modèle du passage couvert.

Vers un renouveau en 2012 ?

La place Ferenciek, qui n’en est plus une depuis l’invasion de l’automobile, est promise en 2012 à d’importants travaux de restructuration au profit des piétons, des cyclistes et des transports en commun. On peut légitimement penser que sa revalorisation attirera de nouveaux commerces et services le long de la rue Pétőfi, déjà elle-même restructurée et embellie pour désengorger la rue piétonne Váci. Ce renouveau profitera-t-il à Parisi udvar ? C’est ce que l’on espère, sans croire au miracle…